Maïté Albagly: « Les causes des violences basées sur le genre sont multifactorielles. »
Lutte contre les violences basées sur le genre
La lutte contre les violences sexuelles et de genre, « l’autre pandémie », dénoncée avec constance tous les 25 novembre dans le monde depuis l’institutionnalisation d’une journée mondiale dédiée par les Nations Unies en 2000, monte en puissance dans l’agenda institutionnel et féministe tant en Europe que partout ailleurs dans le monde. Dans cette interview Maïté Albagly décrypte les causes de ces violences, leur impact et les moyens de les prévenir.
Quelles sont selon vous les causes des violences basées sur le genre ?
Les causes des violences basées sur le genre sont multifactorielles, elles peuvent être notamment culturelles, politiques, sociales, ou encore économiques.
Pour comprendre ces causes et comment et de quelle manière elles s’additionnent, il est nécessaire de partir du postulat selon lequel il y existe des inégalités entre les femmes et les hommes, c’est ce que l’on appelle le système patriarcal. Les hommes en tant qu’entité ont un pouvoir plus important que les femmes.
A cette raison factuelle, on peut ajouter plusieurs éléments. Le fait d’être pauvre est le premier de ces éléments. Les femmes gagnent moins à travail égal que les hommes, elles occupent en majorité les emplois les moins reconnus et sont également plus souvent que les hommes à la tête de familles monoparentales.
Il y a aussi les stéréotypes masculin/féminin selon lesquels l’homme doit subvenir aux besoins de sa famille et que la femmes doit rester à la maison.. Le travail à l’extérieur de la maison est mieux payé que le travail à l’intérieur qui est mal vu et mal rémunéré. Même si les femmes sont entrées dans le monde du travail de façon importante, ce travail à l’intérieur est plus important en termes de temps que celui des hommes. Les hommes participent au travail domestique mais dans une moindre mesure, ce qui est une source de domination.
Ces stéréotypes véhiculent en outre le fait que le masculin est fort alors que le féminin est faible. J’aime cette histoire que l’on m’a racontée à la maternité des Lilas (Seine-St-Denis) : Quand un nouveau-né pleure, on dit qu’il est énervé, quand c’est une fille on dit qu’elle est triste. Cela montre que dès la naissance on nous attribue des stéréotypes qui dureront toute la vie.
La dernière cause que je peux avancer est la tradition religieuse. Même dans des pays où la religion est moins prégnante, elle garde un certain poids et attribue souvent à l’homme un poids prépondérant.
Quel est l’impact, notamment économique, des violences basées sur le genre ?
J’ai participé en 2006 au projet DAPHNE sur l’estimation du coût des violences conjugales en Europe ainsi qu’à une étude de 2014 pour la France avec le Service des droits des femmes et de l’égalité entre les femmes et les hommes. On me disait qu’en parlant de coût, j’acceptais les violences. Avec mon équipe nous avons tenu bon et établi une estimation du coût économique de ces violences.
Si on calcule et met en évidence toutes les étapes que vit une femme victime de violences conjugales et la manière dont la société répond, nous obtenons un cout économique de ces violences que l’on peut diviser en deux parties : le coût direct et le coût indirect.
Le coût direct comprend les soins, l’accompagnement des victimes, des auteurs, les frais liées à la justice, les coûts d’emprisonnement, les centres d’hébergement, etc. Les coûts indirects comprennent quant à eux un manque à gagner : les frais liés à l’incapacité de travail, la maladie, la perte de rémunération pour les victimes et les auteurs de violences, l’incarcération, et in fine la perte du capital humain ou le décès prématuré.
L’équipe qui a coordonné le projet DAPHNE est allée chercher tout cela par différentes données qui sont peu mises à jour ou très focalisées selon l’administration qui les conçoit. Il fallait faire un mélange harmonieux entres les administrations qui tiennent des comptes pour elles-mêmes et les enquêtes en population. Une enquête en population sur les violences basées sur le genre revient très cher et en 15 ans de décalage entre celles-ci et les données des administrations, on a des pertes abyssales.
A partir de ces éléments, il est alors possible établir des études spécifiques. A titre d’exemple, une étude avait été menée à l’hôpital de Nantes sur l’avortement. Les femmes n’ont pas à dire pourquoi elles avortent, toutefois cette étude empirique avait alors permis de démontrer que plus de 23% des femmes disaient le faisaient suite à des violences conjugales. Nous n’avions pas conscience à ce point lien entre violences conjugales et avortement.
Cette étude a permis de se rendre compte qu’en 2012, le coût des violences basées sur le genre s’élevait à 3,6 milliards d’euros, dont 75% de coûts indirects (vs 300 milliards d’euros en Europe).
Enfin, un autre fait n’était pas pris en compte jusqu’à maintenant. A ces femmes victimes il convient en effet d’ajouter les auteurs de victimes s’étant suicidés. Dans certains cas de féminicides, l’auteur tue la femme et ses enfants avant de se donner lui-même la mort. Ce nombre de victimes peut être évalué à 500 par an en France dans le cas de violences conjugales (beaux-parents, conjoints, ex-conjoints, etc..).
Quels sont les moyens de prévenir ces violences ?
Il n’existe pas de recette miracle pour lutter contre ces violences. Ce qui est compliqué, c’est de tenir sur tous les fronts. Quand nous aurons changé de modèle, nous pourrons changer ces stéréotypes, et donc un opérer changement culturel.
Parmi les moyens de lutter contre les violences basées sur le genre figurent bien sûr en premier l’éducation et la formation, mais pour que cela soit possible il faut des moyens financiers et une volonté politique.
Personne dans le secteur de la coopération internationale ne devrait partir sur le terrain sans avoir reçu de formation sur les questions de genre. Pour comprendre un projet, il faut comprendre cette réalité-là.
Une autre chose est importante, c’est que le lieu de la maison, de la famille, les « quatre murs » est un lieu fermé. Pour les femmes, le travail est un bol d’air. Plus qu’un salaire, cela représente pour une femme victime de violences un moyen de sortir de ce qu’elle vit à la maison. Une femme qui a reçu des coups la veille, ne sera pas aussi efficace dans son travail. Cela doit se remarquer et il y a dont une nécessité de former les professionnels RH pour déceler ces situations et alerter.
Un exemple simple consiste pour les entreprises à mettre dans les toilettes un autocollant invitant à appeler le 3919 en cas de violences conjugales. Cela parait peu mais signifie que l’’entreprise reconnait le problème et y est suis sensible. C’est peu mais dans les quelques entreprises où nous l’avons testé, cela a aidé et a permis de casser une dynamique.
Un autre exemple concret concerne la formation des diplomates français. Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, dans la logique de diplomatie féministe, a organisé des formations aux diplomates partant en Amérique latine que je fus invitée à dispenser. J’ai rencontré des gens ayant été formés à cette question au Pérou notamment qui m’ont dit que cela leur avait ouvert les yeux sur la question des violences basées sur le genre. C’est quelque chose que l’on apprend ni à Sciences Po, ni à l’ENA. Il est pourtant essentiel que les diplomates soient formés puisqu’ils décident des financements qui seront versés à telle ou telle ONG à l’étranger. Or, chaque projet doit être vu avec une perspective féministe.